An Vingt, treizième septain

Sur mon attestation de déplacement dérogatoire, j’ai indiqué comme motif « aller ratisser des carottes sur la planète Mars ». Hier j’avais marqué » « ratisser la soupière », les flics m’ont laissé passer. Je crois qu’ils ne vérifient pas vraiment les raisons de nos sorties. Demain, j’irai faucher des patates sur Ganymède et vendredi je fais une soupe !

(Gaëlliques dérogatoires – 25 mars)

Je sais,
depuis le temps
que tu t’y entraînes sur ta console
tu es déçu
que tous ces morts
ne se relèvent pas
avec des envies
de cerveaux frais.
Mais crois-moi sur parole
tu auras d’autres occasions
en grandissant
d’étrenner
ton fusil-tronçonneuse.
Il reste des vivants.

(Gaëlliques de consolation – 27 mars)

A force
d’aligner des livres
sur les rayonnages
de tous les murs
de la bibliothèque
dans laquelle
je me suis installé
confortablement
pour lire
je crois que
je n’en retrouverai plus
la porte de sortie
si seulement
je la cherche un jour

(Gaëlliques idéales – 28 mars)

En entendant les paroles du président à la télé, j’eus un tremblement d’effroi : nous étions en guerre contre un virus, il fallait rester confinés en famille, pour une durée officieusement indéterminée mais provisoirement définie à une quinzaine de jours par notre Gouvernement.

La guerre…
Sur le canapé du salon, ma femme était en train de gagner celle qu’elle avait déclarée il y a plusieurs années à l’apesanteur et aux pots de Ben & Jerry’s parfum Caramel Chew Chew.
Du coin de l’œil, j’aperçus ma fille qui menait une lutte inégale et quotidienne depuis déjà six mois contre son adolescence ingrate face à son miroir de poche moucheté de sébum, et en entendant le fracas barbare de la bataille à laquelle se livrait mon fils dans sa chambre, sur sa batterie, contre nos voisins du dessus, un couple de retraités sans histoires heureusement sourdingues, je me fis la réflexion qu’elle était bien mal barrée, cette guerre…

Mais j’ouvris quand même la fenêtre à vingt heures précises pour me battre avec l’ensemble de mes concitoyens réquisitionnés, frappant courageusement mes mains l’une contre l’autre dans l’obscurité pendant deux longues minutes, submergé par le sentiment de servir vaillamment ma patrie, d’être en quelque sorte un héros du quotidien, semblable moi aussi à ceux que j’applaudissais, avant que ma femme, rompant le charme, ne me crie sèchement depuis son canapé :
- Ferme ça, crétin, tu vas nous faire attraper la mort !

(Gaëlliques martiales – 29 mars)

Hiver de fin 2020
- Bonjour, facteur !
- Bonjour madame Michu, c’est pour le calendrier.
- Ah, faites voir ce que vous avez cette année. Pas des motos, hein, ni des bagnoles, mon mari est mort en mars. Ni des chatons ou des dessins animés, mes enfants aussi sont morts, en juin. Et mes petits-enfants en août. Ils auront au moins profité de grandes vacances. C’est quoi, celui-là ? Les agents de la Poste les plus chauds ? Bah dites donc, y z’ont pas froid ! Pis c’est pas des gringalets comme vous ! Et lui, faudra lui dire que le masque FFP2, c’est pas là que ça se met, il me semble ! Bon, allez, je vous le prends ! Et celui-ci, avec ces drôles de formes pleines de couleurs, c’est quoi ? Pas des sex-toys, quand même ?
- Non, 12 virus parmi les plus dangereux, agrandis au microscope. Allez savoir pourquoi, les gens se passionnent pour ça cette année. Ebola, Corona, VIH, fièvre jaune et j’en passe. Un par signe du zodiaque. Vous êtes quoi comme signe, madame Michu ?
- Oh, moi je suis cancer, alors, vos virus…

(Gaëlliques calendaires – 30 mars)



An Vingt, septain douzième

Tant qu’à manger du foin
puisque l’on me dit bête,
autant fumer de l’herbe
se dit un âne gris.

Lors on le vit brouter
un carré d’herbe verte
sous la fenêtre ouverte
d’une ferme isolée
d’où sortaient en volutes
des fumées d’herbe bleue

L’âne gris, les yeux rouges
hilare, défoncé,
s’exclama : – mon Dieu, que
ce fermier a l’herbette !!!

(Gaëlliques herbeuses – 18 mars)

 

Le printemps allait arriver
J’allais bientôt pouvoir graver
Nos initiales sur le tronc
Du chêne en face de la maison
Où tous les deux nous nous aimions

Hélas ce fut la pandémie
Le confinement, l’asphyxie
L’énervement,
la combustion des sentiments,
le trop-plein,
La détestation

Froidement s’acheva l’hiver
Hier
j’ai gravé nos deux prénoms
Profondément dedans ta chair
Avec
un joli cœur autour
Pour immortaliser notre amour.

Finie la quarantaine
En ce dernier jour de ventôse
Ce matin c’est à peine
Si la branche du vieux chêne
Sous lequel tu reposes
Ploie
sous mon poids

(Gaëlliques printanières – 20 mars)

Nous devons nous laver les mains.
Le savons-nous ?
Je suis saoul sous la pluie.
Hydroalcoolique deviendrai-je ?

(Gaëlliques à genoux – 21 mars)

Je me demandais aussi pourquoi je ne recevais plus de lettres depuis quelques jours ! Je me suis même imaginé des trucs farfelus : que les agents de la Poste détournaient notre courrier pour en fabriquer des masques ou que mon facteur avait chopé ce satané virus. Mais en réalité je crois que c’est mon voisin qui l’a mangé.
Tout à l’heure je l’ai vu jeter à la poubelle une casquette et une veste de postier, et ce soir mon chien a rapporté de derrière la haie qui sépare nos jardins le squelette d’un pied auquel étaient encore attachés quelques lambeaux de chair bouillie.
Je lui ai laissé les os à ronger. C’est que les temps sont durs…
J’espère qu’on aura un nouveau facteur dès demain.
Moi aussi, j’ai faim…

(Gaëlliques postales – 22 mars)

Le vingt-trois, c’est souvent comme ça, je pars de chez moi à vingt-trois heures vingt-trois, et je me retrouve sans m’en apercevoir au beau milieu de la Nationale 23, en pyjama, en me demandant ce que je fous là. Puis je me rappelle qu’on n’est pas encore en 2023 alors je rentre chez moi.

(Gaëlliques noctambules – 23 mars)

- Assassin ! Assassin !
Le type en jogging moulant, bandeau sur le front, MP3 dans les oreilles, montre connectée au poignet et baskets fluo n’eut pas le temps de faire trois pas dans la rue. Un déluge d’objets hétéroclites lui plut dessus : Pantoufles, casseroles, cailloux, excréments canins… Penaud, il rentra chez lui en se tenant la tête où grossissait déjà un bel œuf de pigeon..
Ça allait être long, deux mois sans courir. Et ça allait être un peu lourd, l’ambiance, à la prochaine fête des voisins…

(Gaëlliques sportives – 24 mars)



An Vingt, onzième septain

L’artiste en mal de création
Cherchait un sujet à croquer
Afin d’exprimer sa passion.
Il déplia son chevalet

Après des machines de guerre
Et un nudiste à quatre bras
qui d’ailleurs ne lui plaisait guère
Il voulut peindre Madonna

Mais comme celle-ci ne naîtrait pas
Avant quatre siècles et demi
sur la toile il improvisa.
Après tout, c’était un génie

S’il inventait le rouge à lèvres
Pour la rendre un peu plus glamour
cette fille de ferme si mièvre
vêtue de ses miteux atours ?

Il lui manquait du vermillon
pour la doter d’un pantalon
il lui créerait bien des lunettes
Mais la belle aurait l’air trop bête

Il n’avait plus de noir en rab
pour la revêtir d’un niqab
Il esquissa un simple voile
comme l’araignée tisse sa toile

Mais il eut beau la mettre à l’aise
le modèle ne souriait pas
Pour lui éviter un malaise
Léonard la normalisa

(Gaëlliques de Vinci – 11 mars)

L’idiot se rue sur le p-q
De peur de vraiment trop en chier
en cas de contamination
Pendant que ses enfants blasés
Bien confinés dans leur salon
De tous ces tubes dévidés
Font des lance-grenades en carton
Pour jouer comme dans la télé
Aux manifestations de rue

Il suffit d’un petit virus
pour que l’être humain ait des puces
et gratte son humanité…

(Gaëlliques en carton – 12 mars)

Dans un village un pangolin
expectorait de gros nuages
de poudre de Perlimpinpin
qu’un vilain sorcier récoltait
pour faire de contagieux breuvages
qu’autour du monde il dispersait :

Des liqueurs de paranoïa
Des infusions de médisance
Des philtres de repli sur soi
Des distillats de décadence

Quelques décoctions de rumeurs
et des élixirs de panique
Des soupes de brunes humeurs
Des potions hydro-alcooliques

A trop se tousser dans la bouche
Les gens tombèrent comme des mouches
Même le sorcier pas malin

C’est ainsi que le pangolin
Grand-remplaça le genre humain

(Gaëlliques contagieuses – 14 mars)

Vivement l’automne
Pour que les brocolis ronronnent
Que les petits pois carillonnent
Que les pommes de terre chantonnent
Que les potirons barytonnent
Que les navets résonnent
Que les radis bourdonnent
Que les tomates s’époumonent
Que les haricots nasillonnent
Et que les carottes fredonnent
Pour que les cuistots marmitonnent

(Gaëlliques potagères – 17 mars)



An Vingt, septain dixième

Dans un champ de trèfles à quatre feuilles
J’en ai trouvé un qui n’en avait que trois.
Avant que je puisse le cueillir
Un petit lapin l’a mangé,
M’a regardé effrontément
puis a lâché
un chapelet de crottes brunes
avant de s’enfuir
J’ai bien compté chaque petit tas
et bien noté le résultat
Comme je suis quelqu’un de chanceux
et un poil superstitieux
demain
je le joue au loto

(Gaëlliques champêtres – 4 mars)

Ils sont bien gentils, les fantômes, au château, avec leurs soirées costumées à tout bout de champ, mais c’est moi qui rapièce leurs suaires, qui brode les nappes et les qui tisse les tentures de la salle de bal. Et pas un remerciement.
C’est pas parce que l’ai 8 bras qu’il faut abuser, tout de même !

(Gaëlliques arachnides – 5 mars)

Le secret pour bien cuisiner les afurchons : faire bouillir la noix de caburolle avant de la mélanger au beurre de paravier.

(Gaëlliques culinaires – 6 mars)

C’était pas très sérieux
Après un pack de Corona
De manger cette pizza
Maintenant j’ai la nifle

(Gaëlliques hydro-alcooliques – 7 mars)

Bon d’accord, un méchant virus va tous nous tuer, la Corée du Nord veut atomiser la planète, des milliers de réfugiés fuient leur pays en guerre et sont pris entre marteau et enclume, le mot retraite va disparaître des dictionnaires, les riches se gavent toujours plus, la police française (Heil !) tabasse des femmes, mais tout n’est pas si noir en ce bas monde, la preuve : Lara Fabian a fait changer les règles de The Voice pour sauver une candidate. C’est plutôt rassurant pour l’avenir,
non ?…

(Gaëlliques réconfortantes – 9 mars)

Macron, maestro machiavélique, magouilleur majuscule, magnat mafieux, manitou manucuré, malmène les ministres, muselle les mutins, matraque les manifestants, manipule même les malléables mamies malades en maisons-mouroirs.
Mais ses manigances malsaines de marionnettiste martial manquent de maîtrise et mèneront malheureusement la matoise Marine, mégère mégalomane, des Municipales au matricide de la misérable Marianne, méticuleusement métamorphosée en michetonneuse muette.

(Gaëlliques de campagne – 10 mars)



An Vingt, neuvième septain

Cntrnt d’crtr nmr 59 :

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(Gllqs cnsnns – 28 fvrr)

Masque chirurgical et gel désinfectant
Affolement, panique au moindre éternuement
Restez chez vous, mortels et enfilez des gants
Saluons confinés le retour du printemps

(Gaëlliques contagieuses – 1er mars)

Monsieur Bertier, mon prof de gym adore me faire des blagues. Il se cache dans le couloir des vestiaires et crie « Bouh » très fort pour me faire peur quand je passe pour aller prendre ma douche. En général ça marche, je suis trouillarde, c’est ce que dit toujours mon papa.

Mercredi, en faisant des grimaces rigolotes le prof m’a suivie jusque sous la douche pour me faire des chatouilles. Même qu’il a tout mouillé ses habits. Mais moi j’ai pas aimé ses chatouilles.
Ce soir c’est moi qui lui fais une blague. Je suis pas allée en cours, j’ai plus envie de faire de la gym, comme j’ai dit tout à l’heure à papa et maman. Là, papa et ses copains sont partis faire des chatouilles à monsieur Bertier sous la douche à ma place pour lui dire au revoir.
Papa aussi aime faire des blagues.
Je crois que je vais me mettre à la boxe, comme lui.

(Gaëlliques chatouilleuses – 2 mars)

 



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