J’aimais déjà les mots d’Emma, tellement poétiques, grâce à cette force d’âme qui l’habite et qu’elle insuffle aux personnages dont elle brosse le portrait avec délicatesse, qu’elle invente ses histoires ou qu’elle en soit juste le témoin, le scribe attentif et bienveillant. J’adore quand ses textes flirtent avec le rêve ou basculent d’un coup vers le surnaturel, le fantastique.
Avec le bunker, on est carrément dedans, avec une trame de départ imposée digne des plus grands films cata, où tout peut arriver, sans cause prédéterminée. Je m’apprêtais donc à me régaler, curieux de voir comment elle allait dompter l’exercice.
Et je fus conquis. Happé d’entrée par l’histoire. Saisi, retourné, en quelques mots, quelques formules magiques. L’atmosphère de ce bunker-ci (je ne sais pas encore ce qu’il en est des autres) n’est pas oppressante, comme le thème pourrait l’induire. La poésie y est bien présente, d’entrée, ce « petit quelque chose » qui fait cette belle écriture, et j’avoue avoir pris quelques claques, senti s’humidifier mes yeux aussi, en lisant – et en relisant – cette histoire, aux héros si attachants qu’on espère pour eux un dénouement heureux, et aux autres si laids qu’on leur souhaite le pire des tourments.
Je suis sorti de ma lecture tout ému, déjà fébrile – mais ça me le fait à chaque fois – de lire le prochain ouvrage d’Emmanuelle Cart-Tanneur, mais également curieux de voir comment d’autres auteurs ont pu survivre (ou pas) à cet inquiétant Bunker.
PAGES : 86 PRIX : 10 €
RÉSUMÉ (seules informations données aux auteurs, sur lesquelles ils ont la liberté de bâtir leur bunker personnalisé)
LES NUITS SONT MORTES ET NUL NE CONNAÎTRA PLUS LE JOUR NAISSANT.
Il faut transiger avec les éléments, le hasard, le temps, la fatalité.
Le 21 juillet 2014, 217 personnes, assises côte à côte, à 10 mètres sous terre, écoutent avec attention les discours inauguraux de L’ANTRE ET DES ARTISTES, un espace culturel souterrain de béton, unique en son genre, avec son dôme-esplanade en damier, dont les cases codées multicolores, reproduisent le message suivant :
ÉCLAIRE TA VIE DE LA COULEUR DES MOTS,
ÉCRIS TON CHEMIN AVEC L’AUDACE DES ROIS,
ÉLÈVE TON OUVRAGE SUR LE SOCLE DE LA PASSION,
ET TU PRÉSERVERAS LA SAVEUR DU PASSAGE,
L’ESPRIT LIBRE ET SAGE, JUSQU’À L’INSTANT
FRAGILE ULTIME, ENCHANTÉ DU MIRACLE D’EXISTER.
C’est à ce moment que la catastrophe, tant et tant de fois envisagée, se produit. Sans préavis. Un bruit formidable et en quelques secondes, des tonnes de gravats obstruent les issues et toute communication avec l’extérieur est coupée. Comme tout être sensible, chacun des 217 occupants du bunker est affolé, accablé, sidéré, bête aux abois enterrée vivante dans un immense terrier de béton sans aucune issue immédiate.
Peut-être sortiront-ils un jour. Peut-être pas.
Auront-ils le courage d’attendre la mort ou un miracle potentiel ?
L’espace désormais alloué à leur survie se résume à 3 000 m2 pour une hauteur de plafond de 4 mètres,, soit 12 000 m3 énergétiquement autonomes, répartis ainsi : une grande salle d’exposition accueillant les œuvres de 28 artistes européens (un par État membre), quatre bureaux spacieux, des toilettes publiques, un accès à une source souterraine d’eau pure – mais pour combien de temps encore ? – , une réserve contenant 78 000 portions journalières de nourriture lyophilisée. Soit un confort pour le moins sommaire et une autosuffisance alimentaire d’une année.
La surprise et l’effroi passés, le grondement extérieur étouffé, les 217 personnes se jurent solennellement que, rescapées ou non, elles resteront dignes dans l’épreuve. Mais la dignité est-elle de mise dans de telles circonstances ? Ils sont les survivants de la catastrophe, et se doivent d’être des survivants créateurs. Chacun à sa manière, avec son style, témoignera du présent, du passé, du futur hypothétique, de son bonheur d’avoir vécu sur terre ou de sa douleur de la perte des repères et des êtres chers. Ou peut-être, tout simplement, tracera-t-il la marque de son insondable vanité de puceron éphémère dans un monde terrassé d’avoir été trop loin dans sa folie.
Ainsi va la vie, ainsi ira peut-être la mort.
Avec ou sans regrets.
Ce livre constitue une trace parmi d’autres de cet événement majeur. Prenez le pour ce qu’il est, l’empreinte instantanée de l’état d’esprit de l’un des témoins de ce moment-clé de l’humanité.